La délinquance
La deuxième moitié du XXe siècle a été marquée en France par une augmentation de la délinquance et de la criminalité. Ces thèmes figurent parmi les préoccupations principales de l'électorat lors de l'élection présidentielle de 2002 et la suivante en 2007. En 2009, près de 3.6 millions d'infractions on été commises en France, soit dix fois plus qu'en 1980. et 472 000 personnes ont été placées en garde à vue. Pourtant il serait erroné de droire que la délinquance et la criminalité soient des maux liés aux sociétés modernes. Le brigandage et les bandes armées suscitaient déjà l'inquiétude dans les compagnes voici plusieurs siècles.
A. UN PHENOMENE STRUCTUREL
La délinquance et la criminalité restent des notions précises en terme juridique mais équivoques en terme statistique. Sur le plan du droit, les crimes désignent les actes les plus graves tels que crime contre l'humanité, meurtre, assassinat (un meurtre avec préméditation), viol, attaque à main armée, action terroriste… Les délits comprennent les atteintes aux biens (vols, cambriolage) comme les atteintes physiques moins graves (coups et blessures).
Sur le plan statistique, la mesure de la délinquance fait l'objet de maints débats. L'activité des forces de gendarmerie et de police est un indicateur ambigu. En effet, en réduisant leurs activités, les forces de sécurité effectuent moins de constatations (trafics de stupéfiants, proxénétisme, dégradations…) alors que le nombre d'infractions réellement commises peut ne pas varier. Au contraire, en accroissant leur activité, les forces de l'ordre effectuent plus de constations : les statistiques de la délinquance deviennent alarmantes alors même qu'elles ne font que traduire une répression accrue et pourtant une plus grande sécurité.
Deux données doivent retenir l'attention :
- Près d'un millier d'homicides sont constatés chaque année. Leur nombre est relativement constant. C'est la médiatisation et l'amplification de certains faits divers sordides qui laissent penser que la criminalité serait en hausse sensible. En réalité, ce sont principalement les faits délictuels qui persistent de manière inquiétante (entre 180 et 200 000 vols de voitures chaque année ; plus de la moitié sont retrouvées). Pour autant, rapportée au nombre d'habitant, la délinquance en France est plus faible qu'en Finlande et au Danemark.
- Les viols (10 000 plaintes enregistrées chaque année) et les agressions sexuelles constituent la première cause d'incarcération en France
Le sentiment d'insécurité s'est tout autant développé en raison de comportements inciviques ("rodéos" de voiture, insultes) dont le caractère fréquent voir quotidien contribue à exacerber les tensions. Les émeutes en novembre 2005 dans de nombreuses villes de France ont plus que jamais souligné l'impuissance des pouvoirs publics face à la montée de la délinquance. Une violence aveugle et gratuite a entraîné la destruction des biens publics (des écoles maternelles, des bibliothèques) et l'incendie de nombreux véhicules de particuliers, privant ces derniers de leur outil de travail. Ce déchaînement spectaculaire n'apparaît que finalement trop logique face à l'absence de réponse des autorités face aux incendies criminels de véhicules chaque année (près de 30 000 dont une notable partie en fin d'année).
B. LES RACINES MULTIPLES D'UNE VIOLENCE COMPLEXE
La violence s'explique au regard de plusieurs facteurs.
- L'évolution des structures sociales
La France et plus généralement l'Europe occidentale connaissent un affaiblissement des valeurs idéologiques et religieuses, cadres fondamentaux de toute société et d'une rejet de toute forme d'autorité dont le fondement peut être "mai 1968".
L'hostilité envers les symboles de l'autorité (père, professeur, religieux…) a pu permettre dans un premier temps de faire évoluer de manière significative et souvent positive la société. Mais à terme cette remise en cause radicale a eu des conséquences néfastes. Le déclin de l'influence des partis politiques, des organisations de jeunesse ou encore des Eglises a laissé une part importante de la jeunesse sans repères moraux et sociaux. L'effondrement de la structure familiale, la multiplication des divorces et des foyers monoparentaux empêchent également certains enfants de grandir dans un environnement psychologique stable.
- L'échec de l'intégration
Le lien entre immigration et délinquance doit être apprécié avec prudence. Il faut constater que la moitié des personnes incarcérées en France sont soit étrangères, soit d'origine étrangère. Cette situation s'explique principalement par l'échec du modèle d'intégration français. Le chômage élevé n'a pas permis l'insertion sur le marché du travail des enfants issus de la première génération de l'immigration. De plus, les étudiants diplômés issus de l'immigration, victimes de la crise économique et des préjugés raciaux n'ont pu servir de modèles, faute d'avoir trouvé un emploi.
- L'inefficacité de la politique pénale
En France et de manière générale dans les pays latins, l'accent est mis sur la réinsertion du délinquant. À la différence de certains pénitenciers des Etats-Unis dans lesquels la notion de châtiment s'exprime à travers un travail pénible, une discipline rigoureuse accompagnée parfois d'une humiliation publique (les prisonniers attachés à une chaîne traversent la vielle pour aller travailler… Comme au temps des forçats en France au XIXe siècle), les prisons françaises n'obéissent pas à cette conception de punition volontaire. Par ailleurs, l'idée de rachat, héritage de la religion chrétienne, marque la politique pénale. Tout délinquant peut bénéficier de remises de peines pour bonne conduite, de la grâce présidentielle au 14 Juillet (à l'exception des condamnés pour certains crimes comme le terrorisme) ou de remises de peine complémentaires (dans le cas de l'obtention d'un diplôme notamment). Ces mesures sont destinées à inciter les condamnés à adopter un comportement obéissant mais conduisent à raccourcir les durées de détention purgées. Le citoyen peut ainsi être frappé d'incompréhension face à la différence entre la peine prononcée et la peine réellement accomplie. Enfin, la justice dispose de moyens insuffisants pour suivre de manière étroite les détenus mis en liberté : à peine 300 juges d'application des peines (JAP) suivent près de 180.000 condamnés bénéficiant d'un aménagement de peine.
- Une vision angélique
Un temps la politique pénale en France a été marquée par un certain angélisme. Les délinquants et criminels étaient jugés moins coupables que victimes de la société, du chômage, du racisme ou encore de l'exclusion. En réalité une frange des délinquants opère un choix rationnel : à une insertion difficile, longue et aléatoire sur le marché du travail, le délinquant préfère adopter un comportement illégal mais directement rémunérateur. Le faible taux d'élucidation de certains crimes et délits est de nature à encourager ce basculement dans la délinquance : il n'est que de 15% pour l'ensemble des vols (2008) et 21% pour les dégradations de biens. Certes deux crimes sur trois sont élucidés mais les infractions précitées sont les plus répandues, touchent donc plus de victimes et participent à ce climat d'insécurité.
C. COMMENT COMBATTRE LA DELINQUANCE ?
- La prévention
La prévention de la délinquance constitue l'un des piliers de la politique pénale en France . Cette prévention passe par des mesures judiciaires (convocation d'une jeune perturbateur devant un magistrat pour un rappel à la loi, travail commun des établissements scolaires et des forces de police) et par des campagnes de sensibilisation contre l'incivisme dans les collèges et les lycées. L'Etat semble se substituer aux parents pour inculquer une éducation minimale.
- Une répression nécessaire
Mais ces politiques de prévention ont montré leurs limites aux yeux de l'opinion publique. Le résultat du premier tour de l'élection présidentielle en avril 2002 en est l'illustration. La politique gouvernementale depuis mai 2002 jusqu'à aujourd'hui apporte une réponse plus déterminée à la délinquance. Elle se traduit par une recours plus systématique à l'incarcération. Mais, il n'est pas certain que cette méthode apporte des résultats concrets. Une fois la peine purgée, le condamné se retrouve dans une même situation sociale : sans travail, isolé et sans ressource financière. Si la répression peut avoir une effet dissuasif, elle engendre également une radicalisation de la violence.
Le cas américain est révélateur. Aux Etats-Unis, la loi adoptée ne 1994 par l'Etat de Californie "Three strickes and you are out", consiste à prononcer une peine minimale de 25 ans (et allant jusqu'à la perpétuité) dès la troisième condamnation, quelle que soit la gravité des infractions commises et sans qu'aucune prescription ne puisse jouer : ainsi un Américain condamné pour vol en 1972 et 1986 s'est bu infliger en 1995 une peine de 27 ans d'emprisonnement à la suite d'une troisième infraction… le vol d'une roue de secours. Il est logique de penser que l'auteur d'une troisième infraction, fût-elle minime, n'hésitera plus à tuer plutôt que d'être appréhendé. La loi française n'en est pas arrivée à ce stade. La nécessité d'une proportion entre le préjudice subi et la peine appliquée préserve pour l'instant la société française de tels excès, du moins pour les crimes et délits les plus graves : en matière de "délinquance routière" la loi française semble désormais emprunter largement aux modèles répressifs, conduisant souvent à une condamnation systématique, injuste et aveugle. Si la lutte contre les chauffards est légitime (conduite sans permis, alcoolémie excessive), le climat d'insécurité entretenu par les pouvoirs publics à l'encontre de la très grande majorité des automobilistes (retrait de trois points pour un oubli de port de ceinture de sécurité !) n'est pas de nature à inciter à comprendre et à accepter la loi.
"On juge une société à la manière dont elle traite ses prisonniers" observait le philosophe Michel Foucault. L'enfermement est à ce jour la principale mesure de répression à l'encontre des délinquants et des criminels. Il permet autant d'éloigner les individus dangereux pour la société que de les punir. À terme, d'autres solutions semblent se dessiner, comme l'assignation à résidence avec surveillance par le biais d'un bracelet électronique. Mais les débats sont loin d'être clos : le bracelet électronique n'empêchera jamais la commission d'une infraction. Il ne saurait par ailleurs remplacer une peine de prison aux yeux des victimes.