La pauvreté et l'exclusion

18/08/2012 12:22

 

Si la pauvreté en France semble un fait difficilement contestable, sa mesure exacte s'avère particulièrement complexe. Selon la définition officielle du seuil de pauvreté fixé à 60% du revenu médian, la France comptait plus de 13% de pauvres en 2009, soit 8 millions de personnes (contre 18% au Royaume-Uni). En 1970 ce taux atteignait 17.9%. Si la pauvreté a ainsi diminué depuis lors, ce progrès s'est cependant ralenti ces dernières années.

Être pauvre signifie manquer des éléments essentiels du confort (logement salubre, chauffage) et devoir renoncer à des soins médicaux. Mais la pauvreté entraîne la persistance des inégalités. Ainsi un nombre croissant de jeunes doit renoncer à des études supérieures et les enfants issus de milieu modeste ont sensiblement moins de chance de progresser, surtout depuis que l'école ne joue plus son rôle d'ascenseur social. Les visages de la pauvreté ont évolué ces dernières années en France : les étudiants, les étrangers et certains actifs, les "travailleurs pauvres" s'ajoutent désormais aux retraités dont les pensions sont modestes.

 

A. Les causes de la pauvreté

La France, 6ème puissance économique mondiale connaît une pauvreté structurelle qui peut s'expliquer de plusieurs manières.

 

  1. L'absence de qualification

La pauvreté est souvent le résultat du chômage, lui-même conséquence d'une absence de qualification. Or malgré l'augmentation sans précédent des moyens alloués à l'Éducation Nationale, un nombre toujours important de jeunes quittent l'école sans qualification, 6% des élèves (soit 60 000 env.). Mais cette donnée masque une situation plus grave encore, qui est l'absence de qualification malgré un parcours scolaire. En effet, les dysfonctionnements de l'enseignement aboutissent à l'augmentation de l'illettrisme et l'incapacité à maîtriser le savoir de base (calcul). À l'heure de la mondialisation, les personnes peu qualifiées sont encore plus frappées. Les métiers à faible valeur ajoutée comme le textile traditionnel, employant une main d'œuvre peu qualifiée, sont en effet en déclin.

 

  1. La précarité des salariés

Plusieurs millions de salariés sont employés à temps partiel faute d'un contrat à temps plein. En France, 1.2 million de salariés sont en situation de sous-emploi soit près de 5% de la population active. Ces personnes travaillent à temps partiel alors qu'elles souhaiteraient travailler davantage. Les femmes représentent 80% de cette population sous-employée et travaillent principalement dans le secteur de l'éducation, de la santé et de l'action sociale. Par ailleurs, les contrats à durée déterminée et les missions d'intérim se sont généralisés. Ces salariés à temps partiel ou en situation d'emploi précaire sont souvent rémunérés au SMIC, vivent en Île-de-France ou à proximité des grandes agglomérations régionales et doivent alors consacrer une part importante de leur revenu au paiement d'un loyer. Enfin de nombreux travailleurs occupant un poste à temps complet, sont prêts à travailler davantage pour percevoir un revenu d'heures supplémentaires en raison de la modicité des rémunérations.

 

  1. La précarité des foyers

Le risque de pauvreté est renforcé par la précarité des foyers. Entre 110 000 et 120 000 divorces sont prononcés chaque année. Il en résulte une croissance du nombre de foyers monoparentaux. Or le versement de la pension alimentaire et d'une éventuelle prestation compensatoire ne parvient pas à assurer des moyens suffisants au parent qui a la charge de l'enfant, le plus souvent la mère. Si cette dernière n'exerçait  pas d'activité professionnelle avant la rupture conjugale, ou si ayant exercé, son niveau de qualification est faible, il en résulte une difficulté pour trouver un emploi qualifié, à fortiori, à temps plein.

 

  1. La discrimination

La précarité frappe en priorité les étrangers. Près de 20% des étrangers présents en France sont sans travail. Ce taux de chômage ne s'explique pas uniquement par la discrimination mais aussi par l'absence de qualification de ces demandeurs d'emploi. Les ressortissants du Maghreb et d'Afrique ont été plus durement affectés par les restructurations du tissu industriel en France.

 

  1. La faiblesse des rémunérations

Les rémunérations salariales demeurent faibles. Un salarié sur 10 perçoit moins de 1 000€ net par mois. La moitié des salariés à plein temps reçoit un salaire net intérieur, à 1455€ mensuels (9500 francs). En incluant les salaires à temps partiel et les indemnités chômage, les revenus moyens des actifs salariés sont en réalité nettement inférieurs. La crise des années 1980 a provoqué un chômage structurel et de nombreux retraités ayant perdu tôt leur emploi ne perçoivent qu'une modeste retraite. En France, 700 000 personnes bénéficient de l'allocation de solidarité aux personnes agées (ex-minimum vieillesse).

 

B. Le coût de la vie

En dépit des statistiques officielles et des campagnes des grandes enseignes de distribution, les prix à la consommation ont néanmoins augmenté. De même, le montant des loyers a connu une hausse spectaculaire depuis une dizaine d'années. Aujourd'hui les dépenses liées au logement grèvent le budget des foyers les plus modestes et obligent au déménagement, parfois très lin du lieu de travail. Dans le pire des cas, les expulsions locatives constituent la première étape de la marginalisation. Pour autant, les pouvoirs publics ne peuvent plus protéger davantage le locataire à moins de réduire encore l'offre dans le parc locatif privé.

 

C. L'échec des politiques

L'Etat a tenté par de multiples mesures de limiter les effets de la pauvreté notamment par la création d'un minimum vieillesse, puis du revenu minimum d'insertion (RMI) dont le nombre de bénéficiaires n'a cessé de croître. De décembre 1990 à décembre 2004, le nombre d'allocataires du RMI à plus que doublé, passant de 500 000 à 1.2 millions. La France a également instauré la couverture médicale universelle (CMU) en 2000. Ces mesures ne préviennent pas la pauvreté mais tentent d'en limiter les effets. En réalité dans une économie devenue mondialisée, le combat contre la pauvreté semble vain. Comme le reconnaissait Lionel Jospin alors Premier Ministre "l'Etat ne peut pas tout faire". L'Etat au-delà des clivages idéologiques a dû renoncer :

  • accroître la pression fiscale. L'impôt sur les particuliers atteint déjà des seuils élevés et l'augmentation de la TVA réduirait encore la consommation. Augmenter l'impôt sur les sociétés n'est pas concevable. Une telle mesure accélérerait le départ des sociétés vers des pays dans lesquels la fiscalité est moins importante, ainsi en Europe de l'Est ou en Suisse ;
  • réserver certains emplois au nationaux. Ce type de mesure en vigueur aux Etats-Unis peut permettre au moins qualifiés d'être assurés de trouver un emploi. Mais l'Union européenne a interdit progressivement ces monopoles à l'embauche au nom de l'égalité des chances. Une partie des postes de fonctionnaires dans le domaine de la santé publique et de l'enseignement. Dans les faits cette ouverture reste modérée ;
  • protéger certaines industries de la concurrence étrangère. Les pouvoirs publics ne peuvent plus envisager d'instaurer des taxes sur des produits importés au regard des règles du commerce international et de la mondialisation. Autrefois, dans une économie protectionniste de telles taxes dissuadaient le consommateur d'acheter un produit étranger devenu onéreux par sa taxation à l'importation ; le consommateur se reportait donc naturellement vers le produit français. Or le secteur industriel et manufacturé est à faible valeur ajoutée mais à fort taux de main d'œuvre (comme le textile ou les chaussures). Le déclin de ces secteurs industriels a provoqué un chômage de masse et les pertes d'emplois en France ne sont pas compensées par le dynamisme des exportations de haute technologie et des produits de luxe (cognac, parfum).

C'est pourquoi, il semble que l'Etat se tourne aujourd'hui vers le tissu associatif qui joue un rôle décisif dans la lutte contre la misère et l'exclusion via les organisations caritatives comme les "Restos du Cœur", Emmaüs ou encore ATD Quart Monde. L'Etat se défausse sur ces associations, se contentant de financer ces structures par le biais de subventions publiques. Les structures caritatives offrent plusieurs avantages :

  • une véritable souplesse de gestion : les bénévoles ne sont pas astreints au droit du travail (repos hebdomadaire, congés payés.…) ;
  • l'Etat peut évaluer les résultats des missions des organisations et dans un souci d'efficacité les récompenser par des subventions plus importantes ;
  • les bénéficiaires déjà reconnaissants envers les structures caritatives  n'exigent guère plus, alors que devant un interlocuteur représentant l'Etat, ils pourraient réclamer davantage ou se montrer vindicatifs.

 

D. La guerre contre les pauvres ?

Les dispositifs sociaux atteignent désormais leur limite. Malgré des budgets croissants consacrés à la lutte contre la pauvreté, les résultats tardent à venir. C'est pourquoi un sentiment de doute commence à apparaître.

  • La pauvreté  fait l'objet d'une certaine stigmatisation depuis plusieurs années comme en témoignent les multiples arrêtés anti-mendicité pris dans certaines municipalités. Les pauvres sont considérés comme refusant de travailler. La fiscalité excessive frappant les classes moyennes, le constat de ces milliers de postes de travail non pourvus et la lassitude d'être constamment sollicité expliquent en partie cet état d'esprit.
  • Le RMI lors de sa création devait atteindre deux objectifs, permettre la réinsertion et se substituer à plusieurs allocations sociales versées par les pouvoirs publics. La réinsertion est un échec, plus de la majorité des allocataires en 2000 l'étaient encore 5 ans plus tard. Enfin le RMI plutôt que de simplifier les aides sociales est venu s'ajouter à d'autres catégorielles. Il est remplacé depuis le 1er juin 2009 par le RSA.
  • Depuis le 1er janvier 2004, les collectivités locales se sont vues transférer de nouvelles compétences de la part de l'Etat. Or leur financement est loin d'être assuré. Dans cette perspective, les conseils généraux jusqu'ici compétents en matière de gestion du RMI et du RMA, entendent maintenant contrôler plus étroitement l'attribution de l'allocation.
  • Au niveau national, nombre de responsables politiques encouragés par l'opinion publique entendent rompre avec "la culture de l'assistanat", même si en dénonçant de réels abus, le risque est de stigmatiser les plus démunis.

 

E. Conclusion

Cette situation de pauvreté n'est pas spécifique à la France. En Europe, un habitant sur six dispose d'un revenu inférieur à 60% du revenu médian. Mais les disparités restent importantes entre les pays dans lesquels les pauvres représentent de 11% à 12% de la population (comme dans les pays nordiques ou la France) et les pays dans lesquels le taux de pauvreté est compris entre 18% et 21% (comme les pays de l'Europe du Sud mais aussi l'Irlande et le Royaume-Uni).

Par ailleurs, si la misère est indéniable, certains éléments incitent à la relativiser :

  • l'ampleur de l'économie souterraine. Certains allocataires du RMI ou de minimums sociaux cumulaient leur prestation avec des revenus non déclarés.
  • les transferts financiers au sein des familles. Face à la précarité, la solidarité familiale peut jouer .

Le maintien de cette pauvreté explique l'apparition de la peur d'un "déclassement". Par là, il faut entendre la crainte d'une baisse du niveau de vie. Ainsi, en 2009, les enquêtes du Credoc signalent pour la première fois qu'une majorité de Français considèrent que, sur 10 ans, leur situation s'est dégradée. Il s'agit d'une perception subjective et non forcément d'un constat objectif. Mais ce sentiment croît notamment dans les classes moyennes.